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Ma Fraternité : Être au monde avec …

  • Patrick Chambard
  • il y a 1 jour
  • 3 min de lecture


Patrick Chambard
Patrick Chambard

Il y a des mots que l’on ne choisit pas. Ils nous traversent bien avant que nous les comprenions. Ils se déposent dans nos gestes, dans nos silences, dans les tensions entre ce que nous avons été, et ce que nous devenons. La fraternité, pour moi, n’est pas un concept. C’est une expérience charnelle. Une manière d’habiter le monde avec d’autres. Une présence nue, sans costume, sans armure, sans fonction.


Pendant longtemps, mon corps a été forgé dans un monde d’endurance, de rigueur et de silence. Un monde où l’on apprend très tôt à tenir, à encaisser, à avancer malgré tout. Un monde où la fatigue ne justifie rien. Où les émotions n’ont pas leur place. Où l’on garde la ligne, où l’on obéit, où l’on se tait.

Ce monde m’a enseigné une puissance intérieure rare. Il m’a transmis la droiture, le sens du devoir, l’art de se tenir debout. J’y ai appris la persévérance, la loyauté, l’efficacité, l’économie de mots. Cette verticalité m’habite encore. Elle me structure. Elle m’a permis de traverser des heures sombres, d’affronter le chaos sans m’effondrer.


Mais cette force là, si elle n’est pas équilibrée, devient dureté. Elle isole. Elle mutile parfois ce qui en nous veut simplement sentir, accueillir, se relier. Il m’a fallu du temps, beaucoup de temps, pour laisser remonter l’autre versant de moi-même.


Ma part féminine. Celle que j’avais, enterrée, au fond de moi, n’avait pas la voix forte. Elle ne cherchait pas à s’imposer. Elle m’attendait, simplement, patiemment. Elle s’est réveillée dans des moments de faille, de fatigue, de déchirure. Dans un regard reçu sans jugement. Dans un silence partagé. Dans une main tendue sans demande.


Cette part là m’a appris une autre forme de courage : le courage de ne pas me défendre. Le courage d’écouter sans intervenir. Le courage d’aimer sans posséder. Le courage d’ouvrir les bras sans savoir si quelqu’un viendra s’y déposer.


C’est dans cette rencontre entre mes deux pôles que ma fraternité a pris corps. Elle ne vient ni de la force brute, ni de la sensibilité pure. Elle naît de leur union intérieure. Elle est l’acte par lequel je choisis de ne pas me refermer, même si j’en ai appris tous les mécanismes. Elle est ce geste simple par lequel je reconnais l’autre comme un monde en soi, et non comme une extension de mes besoins, de mes projections ou de mes blessures.


Fraternel, je le suis devenu à force d’essayer de ne plus fuir. Ni les autres. Ni moi-même. Ni cette tension permanente entre celui qui veut agir et celui qui veut écouter. Entre celui qui se tait par maîtrise et celui qui se tait par présence.


Ma fraternité est un lieu d’équilibre, une crête fine entre la puissance et la vulnérabilité. Elle ne cherche pas à résoudre. Elle cherche à rester là. À contenir l’autre sans l’enfermer. À veiller sans contrôler. À aimer sans dissoudre.


C’est une forme d’attention, une attention sans intention. Une disponibilité réelle. Un accueil du mystère.


Je ne suis pas fraternel parce que je suis devenu doux. Je suis fraternel parce que j’ai accepté de ne plus être uniquement fort. Et cela, pour moi, a demandé plus de courage que toutes les batailles que j’ai menées.


Être fraternel, ce n’est pas aimer tout le monde. Ce n’est pas tout comprendre. C’est accepter la cohabitation des mondes, des blessures, des histoires. C’est honorer ce qui ne sera jamais dit. C’est garder l’espace ouvert pour que l’autre y respire.


Ma fraternité, c’est cette façon d’habiter un monde commun sans en réclamer la propriété. C’est marcher aux côtés de l’autre sans le précéder, sans le suivre. C’est ne pas fuir quand ça tremble. C’est ne pas prendre quand l’autre donne. C’est dire oui à la relation, sans garanties.


Et cela, je le vis chaque jour comme un art. Un art sans gloire, sans spectacle, sans retour. Un art qui me relie à ce qu’il y a de plus simple et de plus exigeant : reconnaître l’humanité chez l’autre, même lorsqu’elle me dérange, même lorsqu’elle me ressemble.


Alors si je devais dire ce qu’est ma fraternité, aujourd’hui, je dirais :


"C’est la forme que prend la justesse intérieure quand je réunis en moi la discipline du guerrier et la tendresse du veilleur. C’est ce que je deviens quand je me laisse être homme, pleinement, sans renier aucune de mes dimensions."


C’est mon refus de l’indifférence. Et c’est aussi, peut-être, mon offrande au monde.


Fraternellement, j’ai dit.

Patrick Chambard

Président de Fraternité Internationale Laïque


 
 
 

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