Yves KENGEN
Une chaleur qui fait froid dans le dos
2024 sera proclamée incessamment « année la plus chaude jamais enregistrée » et ce n’est pas une bonne nouvelle.
Non, on ne parle pas d’avoir des étés ensoleillés garantis pour bronzer sur les plages belges ou néerlandaises. Il n’est plus possible d’ignorer davantage le dérèglement climatique. Nous en assistons aux effets quasi quotidiennement, que ce soit dans notre propre environnement ou partout ailleurs dans le monde. En raison de la globalisation des échanges et de l’information, qu’en des temps plus cléments on nous vendait comme un irréversible progrès, rien n’échappe à notre attention : un typhon d’une violence inédite au Japon, des températures flirtant avec les 50° au Canada et en Inde, des inondations catastrophiques en Belgique, en France, en Espagne, au Pakistan et en Chine, des moussons, incendies, ouragans et sécheresses exceptionnels – partout, des phénomènes météorologiques extrêmes se produisent à une cadence jamais vue. Nos riches contrées ne sont pas épargnées : canicule, sécheresse historique, inondations et glissements de terrain se succèdent à un rythme croissant depuis 50 ans.
Ils iront jusqu’au bout
Malgré ces démonstrations patentes, malgré les prévisions alarmantes du GIEC, malgré la perspective des désastres à venir et leurs conséquences sur, notamment, l’économie qui leur est si chère, ni les politiques, ni les industriels, ni les fonds d’investissement ne semblent se préoccuper de ces contingences qui dérangent leurs après-midis cigare dans des fauteuils bardés de cuir, Chesterfield style. Mais voilà : la rentabilité, ferment de la sacro-sainte croissance, ne peut être ralentie. Alors, avec vos intempéries, vous repasserez.
Ce texte de François Ruffin date un peu (2012) ; mais il est toujours actuel et illustre parfaitement cette obstination des pouvoirs à foncer dans le mur en courant :
« On le sait, désormais : ils iront jusqu’au bout. Ils raseront les forêts. Ils videront les mers des thons, des baleines, des sardines. Ils pressureront les roches. Ils feront fondre les pôles. Ils noirciront l’Alaska. Ils réchaufferont l’atmosphère jusqu’à ébullition. Ils nous vendront un air coté en Bourse. Ils affameront des continents. Ils sauveront les banques avec nos retraites. Ils solderont les routes, les îles, les jardins publics au plus offrant. Ils spéculeront sur nos maisons, notre santé, notre éducation. Ils mettront, à force de stress, la moitié des travailleurs sous antidépresseurs – et l’autre moitié au chômage. Ils lèveront des impôts sur nos égouts, nos chaussettes, notre haleine – plutôt que de toucher à leurs bénéfices. Le doute n’est plus permis : qu’on les laisse faire, et tout ça ils le feront. Voilà leur programme pour ne rien changer, ou si peu. Pour préserver leurs privilèges, leurs dividendes, leurs jets privés, leurs allers-retours en classe affaires. Pour se bâtir des ghettos sociaux, sécuritaires, climatiques – où les plus riches de nos enfants, les plus serviles, les plus laquais, seront admis en leur compagnie. »
Ce qui ne les empêchera pas, in fine, de boire la tasse comme les autres et ce ne sera pas faute d’avoir été prévenus. Alors, l’apocalypse climatique est-elle d’ores et déjà inéluctable ? C’est très probable. Déjà il y a 40 ans, les prémices étaient visibles. Des glaciers fondaient anormalement vite, les phénomènes météorologiques extrêmes se multipliaient et leur force s’amplifiait. Au fil des années, de plus en plus de signaux d’alarme ont retenti, suscitant des conférences internationales qui accouchaient chaque fois de mirobolantes promesses (rarement tenues) de faire quelque-chose pour endiguer un mouvement qui semble désormais sans retour. Or, malgré tout cela, nous n’avons jamais émis autant de gaz à effets de serre. Alors que nous devions les diminuer drastiquement, nous n’avons fait que les augmenter. Parce que oui : ils iront jusqu’au bout.
Greta, reviens !
Dans cette situation dramatiquement figée, ceux qui croient le changement possible se sentent trahis par les « élites » qu’ils et elles ont pourtant portés au pouvoir au nom de leurs belles promesses. Mais que faire ? Comment convaincre les décideurs (politiques, économiques, syndicaux, académiques et j’en passe) à se mobiliser en faveur de l’intérêt commun, quitte à déplaire aux intérêts privés ?
Comment expliquer aux défenseurs d’intérêts privés sans âme, sans vergogne, sans morale, sans conscience du bien et du mal, qui ont pourtant aussi des enfants, que le monde va devenir invivable pour leur descendance, alors qu’ils sont prêts à croire que le réchauffement climatique est une vaste blague ? Décidément, rien n’est à attendre de ces gens-là.
Face au blocage, les seuls pour qui il n’est pas trop tard, ce sont les jeunes, qui se rendent bien compte que le monde qu’on leur laisse est un merdier sans nom. Auront-ils et elles le courage d’une certaine Greta Thunberg? Il faut rendre grâce, ici, au travail titanesque de cette jeune militante suédoise qui a tiré la sonnette d’alarme et a su se faire entendre malgré les lazzis et les insultes des « mâles blancs de plus de 50 ans ».
Pendant que ces derniers se moquaient, la jeune Greta soulevait des foules de jeunes gens, soudain conscients de l’inaction des élus. Des jeunes gens qui ont bien compris qu’ils vont subir de plein fouet les conséquences de plus en plus graves du dérèglement climatique. Ils savent que les compagnies pétrolières dépensent chaque année 200 millions de dollars en lobbying pour nier le réchauffement climatique. Ils savent que les mêmes ont dépensé un milliard d’euros depuis 2015 en lobbying, pour orienter
l’élaboration et le vote des réglementations sur l’énergie et influencer les médias, assurant ainsi l’augmentation de leurs opérations en matière d’énergies fossiles. On parle bien sûr de sociétés comme ExxonMobil, Shell, Chevron, BP et TotalÉnergies, qui toutes affirment se préoccuper de « sauver la planète ». Mais les jeunes savent que ce n’est pas la planète qu’il faut sauver, mais les êtres qui vivent dessus. Ils savent que les COP successives ne sont plus qu’une suite de scandaleux congrès de pollueurs et d’émetteurs de CO2 qui défendent les intérêts de leurs actionnaires.
Y croire malgré tout
Ce qu’ils ne savent pas encore, par contre, c’est la façon dont le réchauffement se produit. Les causes exactes de la catastrophe imminente. Les mécanismes météorologiques qui sous-tendent le phénomène, amorcé déjà dans les années 1950. Il est urgent d’enseigner dans les écoles dès la primaire tout ce que Jean-Marc Jancovici et le dessinateur Blain ont pris la peine de vulgariser intelligemment dans une BD, « Le Monde sans fin ». Et ce sera aux enfants et aux ados de faire la leçon à leurs parents, en espérant qu’il s’en trouvera parmi eux quelques-uns qui soient en mesure d’agir en attendant que les nouvelles générations prennent leur place – et les décisions qui s’imposent. On veut y croire.
Yves KENGEN
Selon une étude de l'organisation InfluenceMap, rapportée par « Libération » (28 mai 2019). Voir aussi https://reporterre.net/1-milliard-de-depenses-en-lobbying-par-les-petroliers-contre-la-poiltique
« Le Monde sans fin », Jancovici-Blain, Dargaud, juillet 2021.
Un calor que hiela la sangre
Por Yves KENGEN
2024 será proclamado en breve como el “año más cálido jamás registrado,” y esto no es una buena noticia. No, no hablamos de veranos soleados garantizados para broncearse en las playas belgas o neerlandesas. Ya no es posible seguir ignorando el cambio climático. Sus efectos los presenciamos casi a diario, ya sea en nuestro entorno inmediato o en cualquier otro lugar del mundo.
Debido a la globalización del comercio y la información—que en tiempos más tranquilos nos vendían como un progreso irreversible—nada escapa a nuestra atención: un tifón de una violencia sin precedentes en Japón, temperaturas cercanas a los 50 °C en Canadá e India, inundaciones catastróficas en Bélgica, Francia, España, Pakistán y China, monzones, incendios, huracanes y sequías excepcionales. En todas partes, fenómenos meteorológicos extremos ocurren con una frecuencia jamás vista.
Nuestras ricas regiones tampoco están exentas: olas de calor, sequías históricas, inundaciones y deslizamientos de tierra se han sucedido a un ritmo creciente durante los últimos 50 años.
Seguirán hasta el final
A pesar de estas pruebas evidentes, de las alarmantes predicciones del IPCC (Grupo Intergubernamental de Expertos sobre el Cambio Climático), y de las perspectivas de los desastres venideros—con sus devastadoras consecuencias para la economía que tanto les importa—ni los políticos, ni los industriales, ni los fondos de inversión parecen preocuparse por estas contingencias que interrumpen sus tardes de cigarro en sillones forrados de cuero estilo Chesterfield.
La rentabilidad, motor de la sacrosanta crecimiento, no puede detenerse. Así que con sus desastres climáticos, vuelvan en otro momento.
El texto de François Ruffin, aunque data de 2012, sigue siendo actual y describe perfectamente esta obstinación de los poderes al lanzarse contra un muro a toda velocidad:
“Sabemos bien que seguirán hasta el final. Arrasarán los bosques. Vaciarán los mares de atunes, ballenas y sardinas. Exprimirán las rocas. Harán que los polos se derritan. Ennegrecerán Alaska. Calentarán la atmósfera hasta la ebullición. Nos venderán el aire en la Bolsa. Hambrientos, continentes enteros se hundirán. Rescatarán los bancos con nuestras pensiones. Liquidarán carreteras, islas, jardines públicos al mejor postor. Especularán con nuestras casas, nuestra salud, nuestra educación. Someterán a la mitad de los trabajadores al estrés y los antidepresivos, y dejarán a la otra mitad en el desempleo. Impondrán impuestos sobre nuestros desagües, calcetines y aliento, en lugar de tocar sus beneficios. No hay duda: si se les deja, harán todo esto. Este es su plan: no cambiar nada, o muy poco. Preservar sus privilegios, dividendos, jets privados y viajes en primera clase. Construirán guetos sociales, de seguridad y climáticos, donde solo los más ricos, serviles y lacayos de nuestros hijos serán admitidos a su compañía.”
Esto no les impedirá, al final, ahogarse como los demás. Y no será porque no se les haya advertido.
¿El apocalipsis climático ya es inevitable?
Es muy probable. Hace ya 40 años que los indicios eran visibles: glaciares que se derretían a una velocidad anormal, fenómenos meteorológicos extremos que se multiplicaban y ganaban intensidad.
Con los años, cada vez más señales de alarma han sonado, dando lugar a conferencias internacionales que han producido promesas rimbombantes (y rara vez cumplidas) de actuar para contener un proceso que ahora parece irreversible. Sin embargo, a pesar de todo, nunca hemos emitido tantos gases de efecto invernadero. En lugar de reducirlos drásticamente, no hemos hecho más que aumentarlos. Porque sí: seguirán hasta el final.
¡Greta, vuelve!
En esta situación terriblemente estancada, aquellos que creen que el cambio es posible se sienten traicionados por las "élites" que llevaron al poder con sus promesas vacías.
Pero, ¿qué hacer? ¿Cómo convencer a los tomadores de decisiones—políticos, económicos, sindicales, académicos y otros—de movilizarse por el interés común, incluso a costa de desagradar a los intereses privados? ¿Cómo explicar a los defensores de intereses privados—sin alma, sin vergüenza, sin moral y sin conciencia del bien y el mal, pero que también tienen hijos—que el mundo se volverá inhabitable para su descendencia mientras sigan creyendo que el cambio climático es una gran broma?
La respuesta no está en ellos.
Los únicos para quienes todavía no es demasiado tarde son los jóvenes. Ellos entienden que el mundo que heredarán es un desastre absoluto.
¿Tendrán el coraje de una Greta Thunberg? Hay que rendir homenaje al inmenso trabajo de esta joven activista sueca, que dio la alarma y logró hacerse escuchar a pesar de las burlas e insultos de los "hombres blancos mayores de 50 años." Mientras estos se mofaban, Greta movilizaba a multitudes de jóvenes que, de repente, tomaban conciencia de la inacción de los líderes.
Estos jóvenes entienden que serán quienes sufran de lleno las consecuencias del cambio climático. Saben que las petroleras gastan 200 millones de dólares anualmente en lobby para negar el calentamiento global. Saben que desde 2015 estas compañías han gastado mil millones de euros en influir en las regulaciones energéticas y manipular los medios de comunicación, garantizando la expansión de sus operaciones basadas en combustibles fósiles.
Estamos hablando de empresas como ExxonMobil, Shell, Chevron, BP y TotalEnergies, que aseguran estar comprometidas con "salvar el planeta." Pero los jóvenes saben que no se trata de salvar el planeta, sino de salvar a los seres vivos que la habitan.
Creer, a pesar de todo
Lo que aún no saben, sin embargo, son los detalles del fenómeno: cómo ocurre el calentamiento global, las causas exactas de la inminente catástrofe, y los mecanismos meteorológicos que subyacen a un proceso iniciado ya en los años 50.
Es urgente enseñar en las escuelas, desde primaria, todo lo que Jean-Marc Jancovici y el ilustrador Blain explicaron brillantemente en su cómic El mundo sin fin.
Será tarea de los niños y adolescentes educar a sus padres, con la esperanza de que entre ellos haya quienes puedan actuar mientras las nuevas generaciones toman las riendas y las decisiones necesarias.
Queremos creer que lo lograrán.
Yves KENGEN
A Heat That Chills the Spine
By Yves KENGEN
2024 will soon be declared the “hottest year on record,” and this is not good news. No, it does not mean guaranteed sunny summers for tanning on Belgian or Dutch beaches. Ignoring climate change any longer is no longer an option. We witness its effects almost daily, whether in our immediate surroundings or across the globe.
Thanks to the globalization of trade and information—once sold to us in more temperate times as an irreversible step forward—nothing escapes our attention: an unprecedentedly violent typhoon in Japan, temperatures nearing 50°C in Canada and India, catastrophic floods in Belgium, France, Spain, Pakistan, and China; monsoons, wildfires, hurricanes, and exceptional droughts. Everywhere, extreme weather events are occurring at an unprecedented pace.
Our wealthy regions are not spared: heatwaves, historic droughts, floods, and landslides have been occurring with increasing frequency for the past 50 years.
They Will Go All the Way
Despite this overwhelming evidence, the alarming predictions of the IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change), and the looming prospect of disasters and their devastating consequences—especially for the economy they hold so dear—politicians, industrialists, and investment funds remain indifferent to these disruptions. Such disruptions, after all, might disturb their cigar-filled afternoons in leather-clad Chesterfield armchairs.
Profitability, the cornerstone of sacred growth, cannot be slowed down. As for your storms and disasters? Come back later.
This text by François Ruffin may date back to 2012, but it remains relevant, perfectly illustrating the blind persistence of those in power as they rush headlong into a wall:
“We know this now: they will go all the way. They will raze the forests. They will empty the seas of tuna, whales, and sardines. They will crush the rocks. They will melt the poles. They will blacken Alaska. They will heat the atmosphere to boiling point. They will sell us air on the stock exchange. They will starve continents. They will rescue the banks with our pensions. They will sell roads, islands, and public gardens to the highest bidder. They will speculate on our homes, our health, and our education. They will stress out half the workers into antidepressants—and leave the other half unemployed. They will tax our sewage, our socks, our breath—rather than touch their profits. There is no doubt: if we let them, they will do all of this. That is their plan: to change nothing, or as little as possible. To preserve their privileges, their dividends, their private jets, their first-class round trips. To build social, security, and climate ghettos where the wealthiest of our children—the most servile, the most fawning—will be granted access to their company.”
And yet, in the end, this will not prevent them from drowning like everyone else. Not for lack of warning.
Is Climate Apocalypse Already Inevitable?
It is highly probable. Even 40 years ago, the warning signs were clear: glaciers were melting at an abnormal pace, extreme weather events were multiplying, and their intensity was increasing.
Over the years, alarm bells have rung louder and louder, leading to international conferences that, time and again, produced grand promises (rarely kept) to act against what now seems irreversible. And yet, despite it all, we have never emitted more greenhouse gases than we do today. Instead of drastically reducing them, we have only increased them. Because yes, they will go all the way.
Greta, Come Back!
In this paralyzed situation, those who believe change is possible feel betrayed by the "elites" they brought to power with their lofty promises.
But what can be done? How do we convince decision-makers—political, economic, union, academic, and beyond—to mobilize for the common good, even if it means displeasing private interests? How do we explain to soulless, shameless, immoral defenders of private interests—who, paradoxically, also have children—that the world is becoming unlivable for their descendants while they continue to dismiss climate change as a massive hoax?
It is clear: nothing can be expected from them.
The only ones for whom it is not too late are the young, who can plainly see that the world they are inheriting is a mess of unparalleled proportions.
Will they have the courage of a certain Greta Thunberg? We must give credit here to the monumental efforts of this young Swedish activist, who sounded the alarm and made herself heard despite the jeers and insults of "white males over 50." While they mocked her, Greta rallied crowds of young people, suddenly aware of their leaders' inaction.
These young people understand that they will bear the brunt of the increasingly severe consequences of climate change. They know that oil companies spend $200 million annually on lobbying to deny global warming. They know these same companies have spent a billion euros since 2015 lobbying to influence energy regulations and the media, ensuring the expansion of their fossil fuel operations.
We are, of course, talking about companies like ExxonMobil, Shell, Chevron, BP, and TotalEnergies, all of which claim to care about "saving the planet." But young people know it is not the planet that needs saving—it is the living beings that inhabit it.
Believing Despite It All
What they do not yet know, however, is the precise way in which global warming is unfolding: the exact causes of the impending catastrophe and the meteorological mechanisms behind a phenomenon that began in the 1950s.
It is urgent to teach in schools—starting in primary education—what Jean-Marc Jancovici and illustrator Blain have so intelligently simplified in their graphic novel, The Endless World.
It will then be up to children and teenagers to teach their parents, in the hope that some among them can act while waiting for the new generations to take their place and make the necessary decisions.
We want to believe they can.
Yves KENGEN
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